Vous êtes l’invité des rendez-vous des entreprises finistériennes du Crédit Agricole du Finistère. De quoi allez-vous parler aux dirigeants présents ?
Je vais aborder le sujet des enjeux démographiques. La place des universitaires comme moi est d’analyser, de poser un diagnostic, éventuellement de proposer des solutions qui nous paraissent judicieuses mais sans tomber dans le “y a qu’à”, “faut qu’on”. Les décisions à prendre reviennent, notamment, aux entreprises. Les dirigeants, comme tout le monde, sont un peu bombardés par l’urgence, tout le temps. Tout est urgent, tout de suite. Nous, nous essayons de prendre du recul.
Comment la Bretagne se situe-t-elle d’un point de vue démographique ?
De 1832 à 1968, la Bretagne a été une incroyable terre d’émigration. 1,2 million de Bretons ont été obligés de quitter le pays à cause de la pauvreté, de la mécanisation agricole. Ils essayaient de trouver du travail au Havre ou à Paris par exemple. Le changement démographique intervient à partir de 1968. La Bretagne redevient attractive grâce aux dynamiques entrepreneuriales nées, entre autres, avec le Comité d’étude et de liaison des intérêts bretons (CELIB) qui a obtenu le Plan routier breton. Les Bretons bénéficient alors de voies express gratuites et un échangeur tous les 7 kilomètres, ce qui permet d’irriguer l’ensemble du territoire.
Comment l’économie bretonne s’est-elle modernisée ?
Il y a eu un emballement d’activités qui concernaient, par exemple, le choix de l’État d’aller à Lannion plutôt qu’à Grenoble pour installer une filière télécoms, sans oublier l’automobile, l’électronique. La Bretagne est alors devenue une immense région productive de France puisqu’elle nourrit aujourd’hui à peu près un tiers des Français. Les activités du secondaire et du tertiaire se développent également. Côté tourisme, la Bretagne est désormais l’une des régions les plus touristiques au monde ! Un élément très intéressant, c’est la bascule de l’image. La Bretagne est passée d’une terre pauvre à une image moderne, originale. La bascule est également culturelle.
Tout va très bien alors ?
Nous sommes dans une région qui est a priori au sommet de toutes les attractivités. C’est évidemment extrêmement positif. Mais si on regarde ça de manière plus détaillée, on voit des inégalités d’attractivité. Par exemple, il reste des zones blanches de l’internet haut débit. Il y a une forte attractivité des côtes par rapport aux zones plus rurales. L’Est s’est aussi davantage développé que l’Ouest de la Bretagne.
Une autre particularité de la Bretagne est le grand nombre de villes petites et moyennes mais aussi des bourgs, des villages, etc. qui jouent un rôle fondamental. Il y a du monde partout et donc des entreprises à l’image de Rolland à Tréflévénez ou Cadiou à Locronan.
Quels sont les principaux enjeux selon vous ?
Ils sont nombreux : enjeu du vieillissement de la population, d’accès au logement pour les salariés qui font que les entreprises peinent à recruter, le ZAN (Zéro Artificialisation Nette des sols, NDLR) qu’impose l’État sans prendre en compte la diversité des situations en France. Sans oublier, et c’est un point fondamental, les mutations culturelles et sociologiques. Aujourd’hui, les jeunes ont une autre mentalité. Cela bouleverse les équilibres, notamment dans les entreprises où les jeunes sont moins à la recherche de CDI qu’il y a 40 ans par exemple. Il faut faire cependant très attention à ne pas poser de jugement de valeur et tomber dans le “c’était mieux avant”. Les dynamiques de recrutement pour les entreprises ne sont, en tout cas, plus du tout les mêmes que celles des années 60, 70, 80… L’image de l’entreprise compte désormais beaucoup.
Une particularité bretonne est celle de l’emploi du conjoint. On ne retrouve pas cela ailleurs. C’est lié au tissu urbain breton avec de nombreuses villes moyennes que j’évoquais avant. Je vois par exemple le problème à Saint-Malo pour certains ingénieurs. La taille des villes complique la tâche de trouver un emploi pour chacun des conjoints.
Quel est le rôle des entreprises pour répondre à ces enjeux ? Comment peuvent-elles s’emparer de ces sujets ?
Il y a plusieurs échelles de réponse me semble-t-il. Les éléments de marketing territorial sont extrêmement importants. Dans les années 30, être muté en Bretagne était une catastrophe. Aujourd’hui, c’est l’une des régions les plus recherchées. Il y a donc une bonne image de la région à l’échelle nationale, européenne et mondiale même.
À plus petite échelle, les pays jouent selon moi un rôle très important. Ils sont des éléments structurants même s’ils sont moins reconnus politiquement. Comment ? J’ai la chance d’être invité dans pas mal de réseaux. Et je suis stupéfait quand j’interviens dans les clubs d’entreprises de Briec, du Pays de Dol, de Lorient, etc. par les éléments très concrets qui en sortent. Les gens aiment et savent se rencontrer pour réaliser des choses ensemble : des accords, des partenariats naissent de ces échanges.
Et il y a une capacité des Bretons à avancer sur des choses complètement atypiques, à l’image de la Sailing Valley en Bretagne-Sud. Cette filière voile existe en Vendée mais organisée de façon pyramidale alors qu’en Bretagne, la filière est organisée en grappes très agiles. Des concurrents arrivent à se mettre d’accord pour travailler ensemble. Cette dynamique renforce l’attractivité, notamment après des jeunes.
Est-ce un phénomène nouveau ?
Pas vraiment. Ce sens du collectif, on le retrouve aussi dans le phénomène des coopératives ou du mutualisme né à Landerneau au début du XXe siècle. C’est une très grande particularité bretonne qui est parfois un peu galvaudée. Le côté mutualiste s’est parfois érodé dans certaines organisations. Mais cet esprit persiste aussi dans des associations comme Produit en Bretagne.
L’enjeu majeur est celui du mariage entre les aspirations des jeunes et ces éléments que les anciens qualifient de valeurs. Elles ne sont pas si éloignées que ce que l’on pourrait croire. Il y a une aspiration à participer à une aventure, à s’inscrire dans quelque chose. Et l’attache à la Bretagne me semble pour le moins porteuse d’avenir.
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