En ce 8 février 1418, c’est une personnalité internationalement connue qui débarque à Nantes, à l’invitation du duc Jean V. Vincent Ferrier est, en effet, l’un des prédicateurs les plus célèbres de son temps. Il se rend ensuite à Vannes, où il est accueilli par le souverain breton, les autorités épiscopales et une foule enthousiaste.

Orateur hors pair

Vincent Ferrier naît à Valence, en 1350. Son père est notaire. À 19 ans, il intègre l’ordre des Dominicains. Son frère Boniface, sera, quant à lui, chartreux. Vincent Ferrier se distingue par ses qualités intellectuelles. Tout en continuant sa formation, il se fait enseignant et écrit deux traités, l’un en astronomie, l’autre en dialectique. Il est d’ailleurs remarqué pour ses talents d’orateur. Lui, dont la langue maternelle est le catalan, se distingue aussi par sa capacité à apprendre d’autres langues. En 1370, il est ordonné prêtre à Barcelone. Il enseigne la théologie, matière dans laquelle il obtient un doctorat à l’université espagnole de Lérida.

Au cœur des affaires européennes

À cette période, l’église catholique connaît l’une de ses plus graves crises avec le grand schisme d’Occident. Depuis 1378, deux papes s’affrontent, l’un à Avignon, l’autre à Rome. Vincent Ferrier est proche du cardinal Pedro de Luna. Il prend d’abord le parti d’Avignon et devient le confesseur de Pedro de Luna, devenu Benoît XIII, l’antipape d’Avignon. Dans un souci d’unité de l’église, il finit par se détacher de Benoît XIII et se rallie, en 1416, au pape de Rome.

En Espagne, Vincent Ferrier a également un rôle politique de premier plan. Comme ce fut le cas, en 1412, dans l’accession au trône d’Aragon de Ferdinand de Castille, lors du compromis de Caspe.

Cependant, si Vincent Ferrier est resté célèbre, c’est en raison de ses voyages et de ses prêches enflammés dans tout le continent. À partir de 1399, il commence à parcourir l’Europe. Il se rend en France, en Italie, en Suisse, en Angleterre et en Écosse. À chaque fois, il est accompagné de centaines, voire de milliers de fidèles. Ce missionnaire prosélyte a, il est vrai, le sens d’une certaine mise en scène. Il prêche devant les foules dans de vastes espaces extérieurs. On lui attribue de nombreux miracles, particulièrement de guérison ou la faculté d’être compris dans de nombreuses langues.

Déjà renommé en arrivant en Bretagne

C’est donc une véritable célébrité qui arrive en Bretagne en ce début de 1418. Très vite, il se met à parcourir la péninsule. Il passe à Guérande (44), Redon (35) et Rennes, puis part rencontrer le roi d’Angleterre en Normandie. On est alors en pleine guerre de Cent ans. Vincent Ferrier revient ensuite à Dol-de-Bretagne (35) et voyage à nouveau vers Tréguier (22) et, peut-être, le Léon et le Poher. Sa venue attire les foules qui se rassemblent devant une estrade où il prend la parole pour des sermons enflammés. Les témoins sont frappés par son changement d’apparence lorsqu’il prend la parole, véritablement habité par ses prêches. Il se sert de son corps pour faire passer ses messages. Il peut ainsi discourir pendant des heures, dans un français aux forts accents catalans, à l’issue desquelles il prend encore le temps de discuter avec les fidèles. Il est si populaire, que le clergé de Vannes fait circuler des copies de ses sermons.

Après un an à parcourir la Bretagne, Vincent Ferrier tombe malade. Il meurt, le 5 avril 1419, dans le pays nantais. Trois jours plus tard, il est inhumé dans la cathédrale de Vannes dont il devient l’un des saints patrons.

Un saint controversé

Rapidement, Vincent Ferrier et sa tombe deviennent un objet de culte populaire. Le duc Jean V, puis ses successeurs demandent une enquête en canonisation. Elle se déroule jusqu’en 1454 en grande partie dans la péninsule. À son issue, Vincent Ferrier se voit attribuer 873 miracles et le pape Pie II signe la bulle de canonisation en 1458. Ses reliques sont levées par Alain de Coëtivy, afin d’être vénérées dans la cathédrale de Vannes. Saint Vincent Ferrier est fêté le 5 avril.

En 1955, pour le 500e anniversaire de sa canonisation, le pape Pie XII le présente comme un « héraut de la parole divine, ce prédicateur de la vertu, cet admirable médiateur de la paix ».

S’il faut, bien entendu, le replacer dans son contexte historique, celui d’une Espagne en pleine Reconquista contre les musulmans et une Europe traumatisée par la grande peste et les différents conflits, Vincent Ferrier reste une figure controversée en raison de la virulence de ses prêches contre l’Islam, mais également le judaïsme. Ses défenseurs présentent ses prédications envers les juifs comme « bienveillantes et non violentes ». Il maîtrisait aussi l’hébreu. D’autres lui prêtent au contraire des paroles antisémites et des conversions forcées. Plusieurs historiens estiment qu’il a été l’instigateur de l’attaque du quartier juif de Valence, en Espagne, qui a fait 5 000 morts. Il aurait d’ailleurs prôné la séparation des chrétiens et des juifs, plaidant pour la création de ghettos réservés à ses derniers dans toute l’Espagne. Il aurait contribué à convertir plusieurs dizaines de milliers de juifs dans la péninsule ibérique et joué un rôle important dans l’appropriation de la grande synagogue espagnole de Tolède et sa transformation en église.