Historiquement liés, la Bretagne et le plus proche pays anglophone de l’Union européenne ne cessent de se rapprocher. Au-delà de l’histoire et de la celtitude, ils travaillent sur des sujets d’avenir commun. Stéphane Perrin Sarzier, vice-président à la Région en charge de l’Europe et de l’international, est convaincu de la nécessité d’aller plus loin dans les coopérations. Entretien.
Stéphane Perrin Sarzier, quand on est en Bretagne et que l’on pense Europe, le pays dont on se sent le plus proche est généralement l’Irlande. Comment l’expliquez-vous ?
D’abord, il y a des liens historiques très anciens avec toute l’histoire des saints venus d’Irlande. On fête la Saint-Patrick depuis très longtemps ici. Il y a également des liens culturels assez évidents. Le Festival interceltique en est un signe fort et indiscutable. Il y a aussi le sport. Le foot gaélique, mine de rien, ça compte aussi.
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Et la littérature…
Oui de plus en plus. L’Irlande s’est financièrement impliquée dans le Festival du Livre à Ouessant et, aujourd’hui, Jean-Michel Le Boulanger (président du festival Étonnants voyageurs) travaille pour créer une déclinaison celte du festival malouin. Il a naturellement commencé avec Irlande. Cette disponibilité des Irlandais à faire des choses avec nous est remarquable. Dans le domaine culturel, on peut aussi tisser des liens sur l’art contemporain. Il y a des choses à faire entre l’Irlande et le Frac (Fonds régional d’art contemporain) par exemple.
Les Bretons évoquent souvent une communauté d’esprit avec les Irlandais. D’où vient-elle ?
Il y a le petit fond anti-anglais qui marche des deux côtés (rire). Plus sérieusement, l’Irlande et la Bretagne sont des territoires très proches. Même si l’un est un État souverain et l’autre une Région, nous sommes comme des jumeaux. Nous avons d’ailleurs plus d’une centaine de jumelages ensemble. Nous avons à peu près le même nombre d’habitants, c’est un pays d’agriculture et d’élevage ; on a plus de points communs avec l’Irlande qu’avec des régions céréalières françaises. En termes d’énergie et notamment de dépendance pour l’électricité vis-à-vis de l’extérieur, nous sommes aussi dans la même configuration. Comme nous, l’Irlande est un territoire sans nucléaire.
D’où la nécessité de s’engager sur les énergies renouvelables ? Ce projet, entre la France et l’Irlande, va établir une connexion électrique physique avec la côte nord de la Bretagne…
C’est indispensable. Le Celtic Interconnector ou Keltic Connector, qui va permettre l’échange direct d’électricité entre la France et l’Irlande, va nous rapprocher encore en reliant la côte nord de la Bretagne et la côte sud de l’Irlande.
Pour vous, cette sécurisation de l’approvisionnement énergétique de l’Irlande pourrait aussi évoluer vers des coopérations sur le portuaire et l’éolien ?
On peut imaginer une communauté assez évidente sur la production d’énergie électrique. On est en train de travailler aujourd’hui à des liens entre les ports bretons (Brest) jusqu’à Saint-Nazaire, avec Rosslare voire Cork. S’ajoutent les ports gallois tous aussi impliqués dans l’éolien, posé ou flottant. Nos territoires sont la bonne échelle sur ces sujets qui demandent énormément de place. Si on veut être compétitifs, y compris vis-à-vis des Chinois, on doit travailler ensemble. Individuellement, nous sommes tous trop petits pour peser.
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Le Polder à Brest, dédié aux activités liées aux énergies marines renouvelables, prend aujourd’hui tout son sens ?
Quand Jean-Yves Le Drian a souhaité investir sur le Polder pour que le port de Brest soit un incontournable pour les énergies marines en France, on était loin d’imaginer tout cela. À un moment donné, il va falloir jouer de la complémentarité entre Rosslare (Irlande), Brest, Saint-Nazaire et Port Talbot au Pays de Galles. Compte tenu des projections de déploiement d’éolien dans les trois pays, cela a du sens. On peut imaginer qu’un jour, nos ports auront des participations croisées en capital parce que la bonne échelle est celle de la mer Celtique. D’ailleurs, quand on a accueilli une délégation de Rosslare à Brest il y a un an et demi, ils pensaient au départ que nous étions des concurrents et sont repartis en comprenant que nous étions plutôt des partenaires.
Ces projets nécessitent une main-d’œuvre spécifique. Peut-on aussi imaginer des formations communes avec du personnel en commun ?
On doit aussi travailler ensemble pour que les gens qualifiés dans ces métiers-là dans un pays, puissent aller travailler dans un autre sans qu’il y ait des barrières normatives ou de reconnaissance de diplômes. Dans cette même veine, nous avons le Memorandum of Understanding, l’accord de coopération entre toutes les universités bretonnes et les universités irlandaises. Mais avec le Brexit, qui en fait le dernier pays anglophone de l’Union européenne, la pression est très forte sur l’Irlande pour les échanges étudiants. Elle est un peu victime de son succès.
La pêche et l’agriculture sont aussi des secteurs sur lequel les liens peuvent s’approfondir ?
Il y a matière effectivement à rapprocher les organisations professionnelles de la pêche parce que nous allons avoir des combats communs à mener sur les zones de pêches autour du Royaume-Uni. Sur l’agriculture, l’Irlande produit beaucoup de matières premières mais transforme peu. Nous avons sûrement de quoi imaginer avec nos entreprises agroalimentaires.
Il y a deux ans, l’Irlande a nommé Jean-Marc Roué, PDG de Brittany Ferries, comme consul honoraire. C’est aussi une marque de reconnaissance ?
Oui. La personnalité de Jean-Marc Roué compte aussi mais, au-delà de ça, on choisit un consul honoraire parce que l’intensité des relations le justifie. Il n’a pas une fonction consulaire au sens diplomatique du terme, mais il a quand même un rôle parce qu’il y a pas mal d’Irlandais ou de Bretons qui ont affaire avec l’Irlande ou inversement avec la Bretagne.
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Comme les Irlandais, les Bretons sont partout dans le monde. Vous inspirent-ils dans la manière de gérer leur diaspora ?
L’Irlande a été un pays d’émigration massive. Les Irlandais travaillent beaucoup avec leur diaspora qui leur donne une puissance extraordinaire. On s’en est inspiré pour bâtir la politique sur les Bretonnes et Bretons du monde. C’est une force d’avoir partout, même dans des endroits qu’on pense complètement improbables, des Bretons. Ce sont des ambassadeurs.
Au fond, on pourrait presque dire que du point de vue des relations entre la Bretagne et l’Irlande, le Brexit a eu quelques vertus ?
Incontestablement, le Brexit a été un accélérateur de rapprochement. Pour la blague, j’ai déjà dit : Merci Boris Johnson ! Mais quand on voit les complexités terribles que cela a créées pour eux, on a moins envie de plaisanter. Même la Cornouaille britannique, qui était une terre de brexiteurs, revient vers nous.
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