«Est-ce que l’agroalimentaire français veut nourrir les citoyens à tous les repas ou se contenter du filet de bœuf le dimanche ?», lâche Philippe Bizien. Il est encore fraîchement élu président de l’interprofession nationale porcine (Inaporc) lorsqu’il nous ouvre les portes de son exploitation fin septembre. Sa très décriée ferme «aux 12 000 cochons» est implantée près de la côte des Légendes, à Landunvez (Finistère).
Alors que la souveraineté alimentaire est de tous les murmures, un crochet par la terre-mère des Bigoudènes et de l’agroalimentaire national s’impose. Sur la route, un immanquable : le poulet. Cette filière ne cesse de monter au créneau pour alerter sur l’augmentation inexorable des importations, qui pèsent désormais pour moitié de la ration nationale.
VOS INDICES
source
«Avant l’inflation, nous allions sur une montée en gamme à marche forcée»
Rendez-vous chez Goasduff, à Plabennec (Finistère), à une demi-heure au nord de Brest. L’occasion de découvrir ce site sans odeur. De part et d’autre de longs couloirs blancs éclairés de néons blafards, sont nichées de grandes alcôves plongées dans l’obscurité. À leur entrée, un écran tactile sur lequel fourmillent les données… Ce couvoir dernier cri, capable de faire éclore 1,3 million de poussins par semaine, a achevé sa mue début septembre après quatre ans de travaux de remise à niveau.
«La souveraineté alimentaire démarre avec nous», pose Loïc Goasduff, le directeur général de BD France, filiale du groupe danois qui a racheté l’entreprise familiale en 2017. Ses six couvoirs fournissent un tiers des poussins nationaux. Dans la foulée de l’éclosion, ils seront expédiés pour l’élevage. «L’inflation a des conséquences fortes sur la capacité des ménages à acheter des produits à valeur ajoutée, détaille Loïc Goasduff. Il y a un décalage entre la vision idyllique de l’élevage du citoyen – c’est un peu « Martine à la ferme » – et la réalité du consommateur. La vérité c’est que 100 % des importations de poulets sont issus d’élevages industriels alors que 20% des poulets français sont déjà sous label. Il faut retravailler notre positionnement et simplifier la gamme. Des labels, oui, mais moins.»
Des propos qui trouvent écho chez Philippe Bizien, lors d’un échange autour d’une grande table ronde, couverte d’une nappe brune délavée, dans le réfectoire de son exploitation porcine : «Avant l’inflation, nous allions sur une montée en gamme à marche forcée. Nous risquons de le payer cher, déballe-t-il. Nous devons revenir sur le cœur de gamme en structurant les élevages, ce qui suppose d’agrandir et de rénover si besoin est. Il faut donner aux éleveurs la possibilité d’investir.» Au risque, s’ils ne produisent pas plus, de voir les entreprises de l’abattage et de la salaison réduire la voilure.
La filière des légumes en conserve cherche la voie médiane
Le discours résonne particulièrement en ces temps de «panier anti-inflation» et d’étals jonchés de premiers prix. Tant pis si le bien-être animal est relégué. Tant pis si dans les dédales de l’exploitation de Landunvez, les truies demeurent coincées dans des cages pendant de longs mois. Tant pis si chez Goasduff les poussins sont triés sans ménagement… Il en va du salut du «made in Breizh». Ces recettes éprouvées ont d’autant plus le vent en poupe que la transition vers un modèle plus vertueux est une voie tortueuse. L’Unilet, l’interprofession des légumes conserves et surgelés, se frotte quotidiennement aux défis du produire local et plus durable, alors que la filière fait face à de fortes importations de légumes étrangers.
La première région de l’agro français en chiffres :
– Il y a 4,1 cochons par Breton, avec 13,6 millions de têtes abattues l’an passé sur le territoire
– L’agro compte pour 40 % de l’emploi industriel breton, plus du double de la moyenne nationale
– La Bretagne pèse 11 % du chiffre d’affaires de l’agroalimentaire national
Côté champs, déjà. «Nous refaisons de l’agronomie», clame Cécile Le Doaré, la directrice générale de l’Unilet, qui estime que la profession, bloquée par la réglementation, manque de produits phytosanitaires pour 40% de ses «enjeux sanitaires». Les alternatives mécaniques sont complexes à déployer. Illustration chez Jacques Cordroc’h, à une demi-heure de route de Lorient (Morbihan). Sur 120 hectares, le producteur de légumes ressasse l’affaire, vidéo à l’appui : en raison d’un binage inefficace de ses parcelles dédiées au céleri, il a fallu repasser à la main pour désherber complètement une parcelle de 3,3 hectares – opération menée à grand renfort de main-d’œuvre bulgare.
Côté industriels, on fait les comptes. «Les interdictions de molécules affectent la régularité des produits. Nous allons devoir investir sur des trieuses à l’entrée de l’usine», note Christophe Basile, chargé de d’Aucy à la coopérative Eureden. «Il faudra intégrer cette variation plus forte de la production dans le système, afin que tout le monde prenne sa part des coûts, y compris le consommateur», complète Cécile Le Doaré.
Si l’Unilet phosphore sur les pratiques agronomiques en vogue, elle garde un œil sur les nouveaux venus de la technosphère. Omniprésente en Bretagne, Eureden a craqué pour deux pulvérisateurs qui, pour 120 000 euros, réduiraient les doses de pesticides «jusqu’à 90 %». «Si ce genre de solution se déploie, faudra-t-il toujours évaluer de la même manière l’impact des produits phytosanitaires ?», glisse Cécile Le Doaré.
Les difficultés du produire mieux dans un contexte d’inflation
Si certains ont du mal à changer d’approche, d’autres pensent que la souveraineté alimentaire est avant tout une affaire de produire mieux. Chez Bredial, une PME familiale aux 10 millions d’euros de chiffre d’affaires dirigée par Gautier Jézéquel, la production de salades et de plats préparés tient à un credo : des ingrédients de qualité, sans aucun additif, les deux allant de pair. S’il préfère s’associer au producteur du coin, son exigence peut le pousser à s’approvisionner parfois beaucoup plus loin.
La tendance au tout local, charriée par les promesses de souveraineté alimentaire, ulcère cet adepte du franc-parler. «Le local permet avant tout d’économiser en transport, a fortiori pour nous, Brestois, qui sommes excentrés. » Le modèle de Bredial touche toutefois ses limites, dans une période inflationniste où la sensibilité du prix est accrue : l’entreprise a encaissé une perte de 20% sur les volumes en 2023.
En revanche, tout semble rouler pour Grain de Sail. Produite à Morlaix (Finistère), sa tablette de chocolat bio se fraie doucement une place dans les rayons de la grande distribution, alors qu’elle flirte avec les trois euros. La raison du succès naissant ? «Les gens voient que nous ne sommes pas juste dans la com’», estime Olivier Barreau, le directeur général et fondateur. La PME, qui emploie désormais 50 personnes, a mis le paquet : un musée attenant à son usine pour souligner son engagement pour une production durable, une empreinte carbone du fret réduite grâce à l’acheminement du cacao par voilier, une grille de salaire transparente qui part d’un smic à +18% en bas de la chaîne, à cinq fois ce salaire pour la direction générale. En somme : l’entreprise propose plus qu’un simple chocolat bio.
Les volumes sont encore confidentiels. Une usine en cours de construction du côté de Dunkerque (Nord) triplera les capacités à 3 000 tonnes. Reste à trouver le chemin des caddies. «Le pouvoir d’achat est le même, le vouloir d’achat, lui, ne cesse de croître, pointe Olivier Barreau. La pollution est gratuite aujourd’hui. Nous, nous proposons des produits à moindre impact environnemental. Oui, ils sont plus chers, mais ce qui nous tue, c’est la quantité. Il faut devenir plus sélectifs dans ce qu’on achète, quitte à se restreindre sur le volume.» La souveraineté alimentaire dépend aussi de ce que l’on glisse dans l’assiette.
Avec AB Process la machine industrielle est locale
Pour fabriquer local, il faudra des machines. «Si nous voulons produire en France, il faut le faire avec des moyens modernes pour ne passe faire manger parla concurrence. Nous travaillons pour que les usines du coin restent ouvertes», indique Brian Boulanger, le patron d’AB Process, une PME établie à Landivisiau, dans le Finistère. Les 120 salariés du groupe élaborent des lignes de production sur mesure, principalement pour l’agroalimentaire de la région. «Aujourd’hui, l’automatisation répond à un nouveau sujet, celui des pénuries de personnel et de la perte de compétence. Les industriels ne nous sollicitent plus seulement dans une logique de retour sur un investissement, mais par nécessité de maintenir la production», détaille l’ingénieur.
Ses équipes sont divisées entre les bureaux d’études, qui phosphorent sur la machine idoine derrière leurs écrans, généralement pour des besoins bien spécifiques, et des techniciens chargés de l’assemblage dans le grand entrepôt attenant aux bureaux de conception. Par exemple, AB Process a livré une machine de conditionnement de tablettes de chocolat à Grain de Sail, le producteur breton de chocolat bio. «La demande est là, mais il nous faut trouver de la main-d’œuvre pour aider ceux qui n’en ont pas», explique le dirigeant, pas plus épargné que ses clients par la recherche des compétences. L’entreprise créée en 2008 est en pleine croissance et se développe en rachetant d’autres machinistes locaux, soutenue dans cette quête par des fonds d’investissement entrés au capital ces dernières années. Mais attention à ne pas griller les étapes. «Je vends des machines : si je croîs de 30 % par an, je ne peux pas maintenir la qualité. Il y a une limite à ne pas franchir. Nous sommes une organisation humaine, il y a un savoir-faire à diffuser.» La souveraineté alimentaire débute sans doute ici.
Vous lisez un article de L’Usine Nouvelle 3725 – Décembre 2023
Lire le sommaire
Pour vous tenir au fait, cet article à propos du thème « Formation Bretagne », vous est fourni par opcalia-bretagne.com. Le but de opcalia-bretagne.com est de parler de Formation Bretagne dans la transparence la plus absolue en vous procurant la connaissance de tout ce qui est en lien avec ce thème sur la toile La chronique se veut générée de la manière la plus complète que possible. Pour toute remarque sur ce sujet concernant le sujet « Formation Bretagne » merci de contacter les contacts indiqués sur notre site internet. Il y a de prévu de multiples articles autour du sujet « Formation Bretagne » prochainement, nous vous invitons à consulter notre site web à plusieurs reprises.